« Long-termisme »

Ne cherchez pas ce mot dans le Littré, il n’existe pas ! Pour les amoureux de la langue de Molière il y a une certaine logique puisqu’il s’agit d’un anglicisme. Mais l’expression est également inconnue des pratiquants de la langue de Shakespeare… alors que son antonyme, short-termism, a bel et bien sa place dans le Cambridge Dictionary. Un signe des temps ?

La question mérite d’être posée. Au sein de l’industrie de la gestion d’actifs, la notion de long terme est devenue une denrée rare. Un groupe d’experts1 chargé par la Commission européenne d’établir des recommandations en faveur d’une finance plus durable, a publié un rapport qui reprend une statistique déroutante. La durée moyenne de détention d’une entreprise en portefeuille est passée en Europe de 8 ans à 8 mois en l’espace de 20 ans2. Les gérants européens en actions cotées tournent la totalité de leur portefeuille tous les 20 mois. Difficile de parler de long terme… Le rapport épingle la disponibilité de l’information en temps réel, l’évaluation des performances sur des durées de plus en plus brèves et l’augmentation du rythme de publication de l’information financière.

Contre ce diktat du court terme

A l’aube de l’été, Jamie Dimon, PDG de JP Morgan Chase & Co, et Warren Buffet, président de Berkshire Hathaway, ont co-signé dans le Wall Street Journal une tribune qui sonne comme une mise en garde contre les effets néfastes du court-termisme sur l’économie. Ces grands patrons plaident notamment en faveur de la suppression des objectifs trimestriels de bénéfice par action (BPA), une pratique courante aux Etats-Unis. Ils pointent la tentation de retarder certains investissements (R&D…) ou dépenses (embauches…) pour pouvoir atteindre les objectifs fixés, ce qui peut mettre en risque la croissance de l’entreprise. Une récente étude divulguée par l’Association Américaine de Comptabilité a ainsi démontré que les entreprises qui publient leurs résultats annuellement affichent des niveaux de croissance et une rentabilité sur actifs supérieurs à celles qui suivent un rythme trimestriel. Un ensemble d’éléments qui a incité D. Trump à demander au régulateur américain (SEC) d’étudier la possibilité d’abandonner la cadence trimestrielle en faveur d’une fréquence semestrielle.

Outre ces effets néfastes évidents, l’analyse trimestrielle se révèle souvent peu significative. Selon que Pâques tombe au 1er ou 2e trimestre ou que le Nouvel An chinois survienne en janvier ou février (suscitant la constitution de stocks en décembre ou en janvier), les entreprises passent leur temps à justifier de petits décalages. A l’échelle d’un semestre ou d’une année en revanche, l’effet serait quasi invisible. Si nous sommes adeptes de la transparence, force est de constater que cette vertu atteint ses limites.

Vision de long terme

En Europe, de grands patrons, fervents défenseurs de la vision de long terme, font entendre leur voix. Ils ont en commun la capacité d’inscrire chaque décision dans la stratégie de long terme de leur entreprise. Ils saisissent toutes les occasions de rappeler que leur gestion s’inscrit dans la durée. Cette année, la saison des publications semestrielles en a offert quelques exemples : Jean-Dominique Senard, président de Michelin, Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal et Paul Polman, DG d’Unilever, ont tous trois utilisé à plusieurs reprises l’expression « long terme » en présentant leurs résultats. Ce dernier avait décidé, dès sa prise de fonction en 2009, de supprimer la publication d’objectifs de BPA trimestriels, pariant sur la faible probabilité de se faire licencier pour ces faits le jour même de son arrivée !

Nos fonds ISR sont les heureux porteurs de ces entreprises pilotées par des visionnaires qui ne gèrent pas au trimestre. En refusant de céder à la tyrannie du court terme, ils sont ainsi les artisans de la création de valeur durable.

 

1  Groupe d’Experts de Haut Niveau sur la Finance durable (HLEG)
2  De 1997 à aujourd’hui